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Le Conseil constitutionnel en censeur de la lutte contre la fraude fiscale

Pour le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre est manifestement plus importante que la fraude fiscale. Il a censuré la taxe Google qui visait à obliger les « intaxables » à payer des impôts en France. Trois semaines auparavant, il avait déjà retoqué la disposition sur le reporting pays par pays, imposant une transparence aux multinationales, laissant l’État totalement démuni pour lutter contre une fraude qui coûte de 60 à 80 milliards d’euros par an.

Au fil de ses décisions, le Conseil constitutionnel a construit, ces dernières années, une doctrine bien éloignée des textes fondateurs de la constitution. Sa préoccupation ne semble pas d’être le gardien éclairé de la République, de veiller à l’équilibre des pouvoirs, à la justice, au respect de l’égalité des citoyens, pas plus que d’être celui d’une société libre et transparente. Il peut approuver sans un froncement de sourcils un état d’urgence de plus d’un an, les assignations administratives à résidence, les remises en cause du droit social, pourtant inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, le pillage ininterrompu des services publics, l’appauvrissement systématique de l’État et de ses ressources fiscales. Tout cela ne lui pose aucun problème.

Non, sa doctrine semble s’inscrire dans un cadre économique, immuable malgré le changement de président, qui n’a rien à voir avec les fondements politiques de la constitution. Son mètre-étalon, celui qui lui sert, au gré de nombre de ses décisions, à censurer ou approuver les articles de loi, c’est la liberté d’entreprendre. Une liberté qui ne saurait souffrir la moindre entrave, qui ne peut se voir imposer une quelconque contrainte ou obligation.

Ainsi, le Conseil constitutionnel a décidé, le jeudi 29 décembre, de censurer la taxe Google votée par les parlementaires dans le cadre de la loi de finances 2017. Ce texte, présenté par le député PS Yann Galut et adopté contre la volonté du gouvernement, n’était sans doute pas parfait. Mais il avait au moins le mérite d’engager résolument la France dans la lutte contre l’évasion fiscale : il s’agissait d’obliger toute entreprise qui réalise des activités et des profits en France d’y payer des impôts. Une sanction de 5 points de plus par rapport au taux – théorique – de 33 % d’impôt sur les sociétés était prévue pour toutes les sociétés ayant adopté des montages d’évasion et prises la main dans le sac par le fisc.

Google, bien sûr, mais aussi toutes les multinationales utilisant les franchises, les plates-formes Internet comme un certain nombre de grands groupes français étaient visés. Bien qu’en moyenne les grands groupes ne paient que 8 % d’impôt sur les bénéfices en France – contre 30 % pour les PME ou les TPE –, selon les calculs du conseil des prélèvements obligatoires, c’est encore trop pour eux. Beaucoup ont donc mis en place des montages spécieux s’appuyant sur les prix de transfert pour faire transiter tous leurs profits dans des paradis fiscaux, en déclarant des successions de pertes en France, afin de ne payer aucun impôt et de recevoir en prime des subsides publics.

Pour mettre un terme à ces évasions qui coûtent, selon les estimations, entre 60 et 80 milliards d’euros à l’État chaque année, les parlementaires avaient donc décidé d’imposer au moins une sanction aux fraudeurs attrapés par le fisc. Cette disposition est contraire à la constitution, ont tranché les membres de la rue de Montpensier, qui ont décidé de la censurer au nom de l’égalité des citoyens devant l’impôt ! Car le texte revenait, selon eux, à « laisser à l’administration fiscale le pouvoir de choisir les contribuables qui doivent ou non entrer dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés ».

Que faut-il comprendre de cette argumentation ? L’impôt n’est-il pas une obligation pour tous et non un choix, comme le dit l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme ? L’administration fiscale, parfaitement au courant des pratiques de secteurs ou de groupes pratiquant l’évasion fiscale, ne peut-elle plus les cibler, car il s’agit d’une insupportable discrimination ? Leur imposer une sanction n’est-il pas conforme au droit ? Quel sort faut-il réserver alors à tous les autres contribuables français, qui eux aussi sont en droit d’exiger une égalité devant l’impôt, et que tous participent au financement de l’État ?

Les arguties du Conseil constitutionnel sont d’autant plus incompréhensibles que, dans le même temps, celui-ci a rendu impossible toute transparence autour de ces multinationales « intaxables ». Ce qui justement aurait mis en pièces tous ses arguments sur l’arbitraire fiscal, utilisés pour tuer la taxe Google.

Article publié le 3 janvier 2017.


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